Ce jeudi 30 août 2018, les tous derniers Mirage 2000N de l'Escadron de Chasse 2/4 « La Fayette » ont quitté la base aérienne 125 d'Istres pour venir se poser et couper leur réacteur, pour la toute dernière fois, sur l'Elément Air Rattaché 279 de Châteaudun. Trois appareils, à tour de rôle, ont posé leurs roues sur la piste de l'ancienne base, avant de rejoindre le tarmac sous le traditionnel « water salute » des pompiers de l'air.
Dans la matinée du 30 août, le premier 2000N à se poser est le 357, porteur de sa livrée commémorative pour la fin de cet avion dans l'armée de l'Air, suivi par le 335. Ils sont rejoints dans l'après-midi par le 348, dont l'arrivée a été retardée en raison d'un problème technique avant son décollage depuis la base aérienne 113 de Saint-Dizier. C'est sous l'oeil de quelques photographes mais avec la présence, surtout, d'anciens membres de l'EC 2/4 que les appareils donneront leur dernier souffle.
Si la carrière du Mirage 2000N s'arrête dans l'armée de l'Air, elle se poursuit pour trois d'entres-eux (301, 356 et 369) au sein de la DGA EV (Direction générale de l'armement Essais en vol). Outre les deux machines déjà présentes depuis quelques temps, une troisième vient de les rejoindre. Ces appareils seront mis en oeuvre pour conduire des expérimentations en vol des prochains systèmes embarqués et armements qui doivent entrer en service au sein de l'armée de l'Air.
© Armée de l'Air - Cette image des Forces aériennes stratégiques est maintenant du passé puisque seuls les Rafale B assurent l'alerte nucléaire.
Le Mirage 2000N, c'est 30 années de service opérationnel pour la France, que ce soit dans le cadre de la dissuasion nucléaire avec les Forces aériennes stratégiques (FAS), dans la conduite de missions conventionnelles sur différentes théâtres d'opérations de l'Europe au Moyen-Orient en passant par l'Afrique, ou lors des multiples exercices en Europe, Amérique du nord et Amérique du sud ou océan Indien.
En matière de dissuasion nucléaire, le Mirage 2000N entre en service en 1988 avec le missile ASMP, en parallèle de la prise d'alerte assurée par les Mirage IV P armés de l'ASMP. Ce n'est que plus tard, en 2009, que l'actuel ASMP-A fera son entrée dans les forces armées. Le premier tir opérationnel d'un ASMP-A aura lieu le 23 novembre 2010, lors de l'opération TOPAZE, qui a nécessité une année de préparation entre la DGA, Dassault Aviation, le CFAS, MBDA, etc… C'est le 2000N n°367 et immatriculé 125-AW qui se chargera du tir.
Cette prise d'alerte et la doctrine d'emploi du Mirage 2000N font que les entraînements à conduire une frappe nucléaire sont omniprésents. Entre autres, plusieurs exercices POKER (généralement quatre) sont organisés par les FAS au cours de l'année. Cet exercice rassemble l'ensemble des unités chargées d'assurer un raid nucléaire stratégique, ainsi que des forces conventionnelles de l'armée de l'Air et parfois des autres armées, qui vont être chargées de stopper ce raid.
La première mission POKER avec des 2000N se déroulera en janvier 1996. Ces missions rassemblent entre 40 et 50 aéronefs (avions de combat, de ravitaillement en vol, d'alerte avancée, etc…), qui vont s'affronter pendant 5 à 6 heures au-dessus du territoire français et de ses eaux territoriales. La mission se décompose en plusieurs phases avec des ravitaillements en vol, une percée à basse altitude, un franchissement de défenses sol-air et air-air ennemies, avant le tir fictif d'un ASMP-A.
Mais la dissuasion n'est pas la seule mission donnée aux équipages des FAS. En effet, les missions conventionnelles ne sont pas à négliger puisqu'elles représentent environ 40% de l'activité des escadrons de 2000N. A ce titre, ils participeront à de nombreux exercices nationaux et internationaux
Des 2000N vont se déployer en Ecosse (JOINT WARRIOR & SKYLANCE), en Norvège (ARTIC THUNDER), au Danemark (BOLD AVENGER), en Turquie (ANATOLIAN EAGLE & DYNAMIC GUARD), en Espagne (DAPEX), à Oman (SEA TURTLE), au Qatar (PEARL GATHERING), en Egypte (BRIGHT STAR), au Maroc (MARATHON), au Sénégal (EMERALD MOVE), à Djibouti (MARATHON), au Koweït (PEARL OF WEST), au Brésil (CRUZEX), aux Etats-Unis (RED FLAG Alaska et Nellis & COPE THUNDER), ainsi qu'au Canada (MAPLE FLAG & GOOSE BAY).
Mais outre la prise d'alerte, les entraînements à la dissuasion nucléaire et les exercices aux missions conventionnelles, les 2000N vont aussi faire parler la poudre sur plusieurs théâtres. C'est en 1994, pour la toute première fois de son histoire, que le 2000N connaît son baptême du feu avec son engagement dans l'opération CRECERELLE (puis DELIBERATE FORCE) en ex-Yougoslavie. Basés à Cervia en Italie, les N vont opérer entre 1994 et 1995 avec notamment la première frappe d'une bombe lisse de 250kg.
Ce n'est qu'en 2011 que les M2000N vont de nouveau se réengager en OPEX. Depuis la base aérienne de Souda, en Crète, ils participent à l'opération HARMATTAN (ou UNIFIED PROTECTOR) entre mai et octobre 2011. Ils vont réaliser 600 missions de guerre au-dessus de la Libye, procéder au tir de 144 GBU et effectuer plus de 3 000 heures de vol. Trois ans plus tard, les 2000N sont déployés sur la base aérienne de Prince Hassan, en Jordanie. Entre août 2016 et janvier 2016, puis entre juin et août 2016, ils vont larguer 186 GBU, réaliser 450 missions et réaliser plus de 2 000 heures de vol. Cette OPEX est marquée par l'utilisation de la configuration quatri-bombes avec quatre GBU-12 sous l'avion.
Enfin, le dernier déploiement opérationnel se fera en Afrique, dans la bande sahélo-saharienne avec un détachement entre avril et septembre 2017, puis décembre 2017 et mars 2018. Depuis la base aérienne de N'Djamena, au Tchad, les 2000N utiliseront 7 GBU, réaliseront 14 show of force, 285 sorties aériennes et plus de 1 000 heures de vol. Au cours de ces engagements, ils effectuaient leurs missions en coopération avec les M2000D qui étaient chargés d'assurer le guidage laser des GBU.
Cette carrière opérationnelle a été conduite sur plusieurs escadrons. D'abord avec l'Escadron de chasse 1/4 « Dauphiné », qui est le premier escadron de l'armée de l'Air à percevoir des 2000N et l'ASMP en janvier 1988. Stationné sur la base aérienne 116 de Luxeuil, il prendra l'alerte à partir de juillet 1988. Premier escadron 2000N, il a formé les équipages de l'EC 2/4 et de l'EC 3/4. Ses pilotes connaîtront les premières missions conventionnelles avec la version Nk2 en 1992 et partiront à Red Flag, et participeront aux opérations en ex-Yougoslavie. En 2002, le « Dauphiné » reste précurseur avec les premiers tirs de GBU-12 et GBU-24, l'emploi des jumelles de vision nocturne et l'appui aérien rapproché. Il est dissout le 29 juin 2010.
L'Escadron de chasse 2/4 « La Fayette » réceptionne ses Nk1 en 1987. Ce n'est que le 1er juillet 1989 que l'escadron est officiellement opérationnel avec l'ASMP, lui aussi depuis la base de Luxeuil. L'escadron est marqué en 1992 par sa qualification sur bombe lisse de 250kg, et passe ainsi au standard Nk2. Il se rendra à Red Flag et relèvera l'EC 1/4 engagé à CRECERELLE. Il y conduira sa première frappe aérienne depuis la guerre d'Indochine avec l'attaque de la piste d'Udbina.
En 2006, ils emportent la GBU-12 et migrent vers Istres en septembre 2011, pendant HARMATTAN. C'est à cette même époque que les Nk2 quittent le service actif et qu'arrive le Nk3 et son ASMP-A. Il faudra attendre 2015 et l'Irak/Syrie pour que les 2000N fassent parler la poudre et deviennent à cet effet « camion à bombes » avec sa configuration à 4 GBU. Enfin, le « La Fayette » poursuivra son aventure au Sahel.
L'aventure du Mirage 2000N s'écrit aussi à l'Escadron de chasse 3/4 « Limousin ». Créé officiellement le 1er août 1989, l'escadron est en formation entre septembre 1989 et juin 1990, où il se pose à Istres et y devient opérationnel le 1er juillet de la même année. Le 1er juillet 1996, il prend l'alerte à son tour. L'escadron se déploiera en décembre 1994 et en 1995 en ex-Yougoslavie.
Son activité est marquée par le fait qu'il est le premier escadron à mettre en oeuvre le couple 2000Nk3 et ASMP-A, le 1er octobre 2009. Son stationnement à Istres, la proximité avec la mer Méditerranée et ses entraînements réguliers avec les bâtiments de surface de la Marine nationale font qu'il devient spécialisé dans les assauts à la mer. Il prend le surnom de « Mediterranean pirates ». Trois faits à retenir pour l'escadron : un vol au flight level 730, une éjection en courte finale avec un appareil qui sera réparé et une collision frontale supersonique de 2 2000N qui fera 4 éjectés et 4 survivants.
Enfin, il reste l'Escadron de chasse 2/3 « Champagne ». Délaissant ses Mirage IIIE, il migre sur 2000N début 1991 et effectue son premier vol sur l'avion le 13 mars 1991. Le 1er juillet, il est autonome sur 2000Nk2 et s'installe à Nancy-Ochey le 30 août. Le 10 avril 1993, l'escadron va réaliser le plus long vol sur Mirage 2000Nk2 en décollant d'Istres pour rejoindre Masirah, à Oman. Ils sont soutenus en vol par les indispensables ravitailleurs. Le convoyage dure 07h40, un record à l'époque.
Le 30 août 1995, alors que l'escadron participe aux frappes aériennes en Bosnie, le Mirage 2000N n°346 (3-JD) et son équipage sont abattus dans la région de Pale. Capturés, le capitaine Frédéric Chiffot et le lieutenant José Souvigné seront libérés trois mois plus tard, après 104 jours de détention. En juin 1998, le « Champagne » délaisse la version Nk2 pour aller voler sur Mirage 2000D.
Au total, 75 Mirage 2000N seront commandés par l'armée de l'Air. Les premières pièces de série sont produites à partir de 1984 et un avion par mois sort des chaînes d'assemblage de Dassault Aviation. Le premier appareil est livré en janvier 1987, et ce jusqu'en 1992. La série débute au numéro 301 et jusqu'au 375. L'ensemble de cette flotte accumulera plus de 350 000 heures de vol au cours de sa carrière.
Toutes les photographies : © Sébastien Léonard.