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La DGA poursuit la mise au point de l'ASPTT / BAT-120LG

La DGA poursuit la mise au point de l'ASPTT / BAT-120LG

via @ThalesDefence - Tir piloté d'une ASPTT / BAT-120LG par la DGA au large des côtes françaises.

via @ThalesDefence - Tir piloté d'une ASPTT / BAT-120LG par la DGA au large des côtes françaises.

Présentée officiellement lors du salon du Bourget 2017, la bombe ASPTT (Air Sol Petite Taille Tactique) pour la Direction générale de l'armement (DGA) et BAT-120LG pour son fabriquant Thales et TDA Armements (filiale de Thales), poursuit son développement au sein de la DGA Essais en vol (DGA EV). En effet, la DGA a procédé le début juin à un tir piloté du démonstrateur de cette nouvelle munition métrique à létalité maîtrisée. L'annonce a été confirmée par Thales hier lundi 30 juillet 2018 et vient valider les informations de plusieurs sources concordantes que nous avions depuis quelques jours

Ce vol, considéré comme un « succès » selon les dires, s'est déroulé le 06 juin 2018. Il a été conduit par la DGA EV à la demande de l'Unité de management Avions de chasse et équipements (UM ACE) de la DGA. Si des vols d'essais ou de séparation entre l'avion-tireur et l'armement ont déjà été effectués auparavant, notamment avant le salon du Bourget, il s'agit ici d'un tir piloté de cet ASPTT.

Qu'est ce qu'on appelle un tir piloté ? C’est-à-dire que l’arme s’auto-pilote pour se stabiliser. Par exemple, nous explique un ingénieur dans le civil, lorsque l'on sépare une munition (missile, bombe guidée ou non...) de l’avion-tireur, elle va devoir quitter le champ aéro assez turbulent qui enveloppe l'avion-tireur. Si la munition ou le missile n’est pas très stable, il faut alors un pilote à la séparation qui va contrôler, par exemple, des gouvernes de direction ou des ailettes pour éviter que la munition ne prenne des attitudes dangereuses et aille toucher l'avion-tireur. Pour visualiser cette problématique, on peut voir cette vidéo d'essais de séparation entre avion-tireur et armement ou réservoir externe.

Officiellement, ces essais en vol vont se poursuivre avec la réalisation d'un dernier tir de démonstration dans le courant de la fin de l'année 2018. Ce dernier tir sera marqué par l'utilisation du guidage laser pour guider l'ASPTT et il permettra de « terminer les vérifications de performance » d'après nos informations. L'ensemble des résultats permettront « de recueillir des éléments sur la faisabilité et l’intérêt opérationnel d’un tel concept », alors que cette campagne de mise au point est marquée par « l’utilisation d'équipements déjà mis en oeuvre, de domaines de vol et de tir déjà ouverts », nous précise-t-on.

Cette munition, nouvelle dans le paysage aéronautique militaire mais qui pourrait être amenée à s'implanter fortement, reste encore aujourd'hui peu connue. Pour Defens'Aero, Yannick Smaldore, consultant spécialiste des questions de défense, a rédigé une analyse en profondeur concernant cette BAT-120LG. Décryptage :

via Portail Aviation - La BAT-120LG, ici présentée au Salon du Bourget 2017.

via Portail Aviation - La BAT-120LG, ici présentée au Salon du Bourget 2017.

L’origine de la ASPTT

L’ASPTT est un projet mené conjointement par Thales (notamment sa filiale TDA Armements) et la DGA, sans que l’armée de l’Air ne soit, à l’heure actuelle, cliente de la munition. Pourtant, le développement de cette nouvelle bombe découle de besoins bien réels, et clairement exposés par les forces françaises suite à leurs interventions extérieures. Plus précisément, la BAT-120LG répond à deux constats bien distincts, soulevés lors de deux RETEX (Retours d’Expérience) de la décennie écoulée.

L’intervention en Libye, en 2011, a rapidement démontré la nécessité pour les forces françaises de disposer d’une munition guidée légère à effet létal réduit, capable de frapper dans des situations tactiques intriquées avec un minimum de dommages collatéraux.

Le second besoin opérationnel auquel l’ASPTT entend répondre provient des RETEX de l’intervention au Mali, et plus généralement des missions menées en Afrique. Depuis le retrait des Mirage F1, c’est le Mirage 2000, dans ses différentes versions, qui règne sur les théâtres d’opération africains. Malheureusement, l’emport en armement air-sol des Mirage 2000 reste limité. Face à des adversaires conscients de cette faible capacité d’emport, et qui privilégient la dispersion de leurs véhicules et l’étalement de leurs campements, le besoin s’est fait rapidement sentir pour une munition de précision plus légère, capable d’être embarquée en grand nombre.

Si le Brimstone britannique, qui s’est particulièrement illustré en Libye, a un temps été envisagé pour une intégration sous Rafale, l’option se serait avérée trop coûteuse, et difficilement transposable sous Mirage 2000. Le mot d’ordre est alors passé : trouver des solutions opérationnellement utiles, mais utilisant des briques technologiques existantes afin d’en réduire les coûts de développement et les délais d’intégration.

Le développement de roquettes à guidage laser, actuellement en phase d’intégration sous hélicoptères Tigre, ou d’un pod canon de 30mm, pour la rénovation du Mirage 2000D, répondent à cette logique.

Il en va de même pour la BAT-120LG, qui reprend le concept en vogue de munitions guidées ultra-légères, sur la base d’un équipement existant et tombé en désuétude depuis bien longtemps : la BAT-120, conçue par Thomson Brandt. Cette bombe d’appui tactique, ainsi que sa consœur anti-piste BAP-100, faisait partie des emports conventionnels du Mirage 2000 lors de son apparition dans les années 1980. Même si l’Armée de l’Air n’en a pas fait grand usage depuis ce vecteur, la bombe reste qualifiée pour un emport ventral sous Mirage 2000, permettant d’envisager une intégration rapide d’une version plus moderne, guidée par laser.

Comment se présente la BAT-120LG ?

Pour Thales, héritier de Thomson Brandt, cette petite bombe dans son catalogue est une aubaine pour répondre aux nouveaux besoins des forces armées françaises, et aux marchés export de modernisation du Mirage 2000. Avec son calibre de 120mm, et sa conception modulaire, la BAT-120LG s’avère idéale pour intégrer des éléments modernes développés pour les roquettes et les obus de mortier guidés de Thales.

Concrètement, l’ASPTT dévoilée par la DGA l’année dernière reprend le corps de bombe et l’interface avion-munition de la famille BAP-100/BAT-120 originale. Le poids et le centrage de la munition sont identiques à la version d’appui tactique non-guidée, et il en va de même pour le système de fixation et de largage. A peu de choses près, la BAT-120LG pourrait être considérée comme une bombe déjà intégrée sous Mirage 2000.

Comme indiqué au début de notre article, deux éléments importants restent à démontrer pour qualifier cette nouvelle bombe : le pilotage et le guidage. Ces étapes sont indispensables pour ouvrir le nouveau domaine d’emploi de la bombe, qui devra pouvoir être larguée à haute altitude, y compris contre des cibles mobiles.

Pour optimiser les coûts et les délais de développement et d’intégration, Thales et la DGA ont réutilisé autant d’équipements et de protocoles existants que possible. Ainsi, la conduite de tir de l’ASPTT reprendra celle de la GBU-12, ce qui devrait permettre une qualification rapide sous Mirage 2000D ainsi que sous Mirage 2000C (cependant dépourvus d’une capacité de désignation autonome). Matériellement, l’autodirecteur laser de la bombe, particulièrement compact, est un dérivé de celui qui équipe la roquette ACULEUS LG, qui a récemment démontré une précision de 75cm lors des tests d’intégration sous hélicoptère Tigre HAD. Pour Thales, l’exercice n’est pas nouveau, puisque ce même autodirecteur a également été intégré sur leur obus du mortier guidé de 120mm. La MGM (Munition Guidée de Mortier), d’un calibre similaire à la BAT-120LG, aurait également servi de base pour le développement de la charge militaire légère qui équipera l’ASPTT.

Pour son emport, la BAT-120LG devrait également reprendre les adaptateurs existants, évitant ainsi le coûteux développement d’un nouvel adaptateur. L’adaptateur 30-6-M2, qualifié en emport ventral sous Mirage 2000 et Mirage F1, permet l’emport maximum de 18 munitions, répartis en deux lots neuf munitions, empilées sur trois couches. Pour des vecteurs plus légers, un emport plus court pour neuf BAT-120 est disponible, le 14-3-M2.

A l’heure actuelle, cependant, les configurations d’emport exactes restent à définir. L’adaptateur 30-6-M2 permet en effet de moduler l’emport pour n’embarquer que trois, six ou douze armes. De quoi offrir, déjà, de belles perspectives tactiques pour un Mirage 2000D en mission de soutien tactique.

© USAF - Le Mirage 2000D, ici en mission au-dessus du Sahel, sera sans doute le principal bénéficiaire de cette nouvelle munition.

© USAF - Le Mirage 2000D, ici en mission au-dessus du Sahel, sera sans doute le principal bénéficiaire de cette nouvelle munition.

Quel potentiel commercial pour la BAT-120LG ?

Si la munition démontre ses performances, et s’il est avérée que l’utilisation de briques technologiques existantes permet de réduire les coûts de développement et d’intégration, alors le premier débouché commercial de l’ASPTT devrait être l’Armée de l’Air, avec une intégration principale sous Mirage 2000D, voire sous Mirage 2000C.

Aujourd’hui, cependant, le programme mené par la DGA ne serait pas intégré au chantier de rénovation des Mirage 2000D, et aucune commande n’aurait été passée pour une production en série.

Il faut dire que le marché des munitions guidées légères est très concurrentiel, et que les budgets de l’Armée de l’Air ne sont pas extensibles à l’infini. La situation est d’autant plus sensible que Mirage 2000 et Rafale ne semblent pas pouvoir intégrer le même type d’armes. Le Rafale, qui n’a jamais été qualifié pour les BAP-100 et BAT-120, se prête bien mieux à une intégration de paniers de roquettes à guidage laser. Des roquettes à guidage laser qui, malheureusement, ne peuvent être intégrées au Mirage 2000, dont le système d’arme n’est pas apte à tirer plusieurs armes guidées depuis ses rails lance-missiles extérieurs.

Même si l’ASPTT n’a pas été spécifiquement conçue pour le marché exportation, un succès auprès de l’Armée de l’Air pourrait conduire d’autres forces aériennes à s’y intéresser. D’autant plus que la famille BAT-120/BAP-100 est déjà intégrée à de nombreux appareils encore en service dans le monde : Mirage 5, Mirage F1, Skyhawk, Alpha Jet ou Super Etendard.

Sur le marché africain, qui se prête particulièrement bien à l’utilisation de la BAT-120LG, l’arme pourrait ainsi intéresser l’Egypte, qui intervient régulièrement au Sinaï ou en Libye dans des opérations de contre-insurrection ou de lutte anti-terroriste, mais aussi le Nigéria ou encore le Maroc.

Au-delà, il restera à démontrer la possibilité de diversifier le marché de l’ASPTT. L’intégration de la BAT-120LG sur des plates-formes plus lentes, tels que des drones, des hélicoptères de combat ou des avions de patrouille turbopropulsés, reste soumise à fortes cautions. Avec une faible vitesse de largage, la bombe pourrait manquer de puissance, et donc de pertinence tactique face à des missiles légers comme le Brimstone ou le Hellfire. Elle resterait néanmoins largement moins coûteuse. Et les industriels chinois, entre autres, ont démontré depuis quelques années le potentiel commercial et opérationnel de petites munitions bon marché emportées par des drones, quitte à en réduire l’usage tactique.

Si Thales évalue positivement la possibilité d’intégrer sa BAT-120LG à des drones tactiques, à des plates-formes ISR ou même au C-130 Hercules, ce sera aux forces de déterminer si un tel armement leur convient, ou si la souplesse d’un missile léger reste indispensable, malgré le coût plus élevé.

© Yannick Smaldore - Les ASPTT présentées ici sous le Mirage 2000D de la DGA Essais en vol lors du salon du Bourget 2017. On notera que la configuration entre le Bourget et le tir piloté n'est pas la même.

© Yannick Smaldore - Les ASPTT présentées ici sous le Mirage 2000D de la DGA Essais en vol lors du salon du Bourget 2017. On notera que la configuration entre le Bourget et le tir piloté n'est pas la même.

Le premier pas vers une nouvelle famille d’armements légers pour Thales ?

En l’état actuel de nos connaissances sur le programme, il semble donc que son approche low-cost sert surtout à valider l’emport sous Mirage 2000D, et donc à faire de l’Armée de l’Air le client de lancement de la munition. Néanmoins, des questions se posent encore sur l’usage réel qui pourrait être fait de la munition, et surtout sur sa configuration d’emport opérationnel.

Le guidage laser implique en effet la réalisation de nombreuses passes de tir, et l’autonomie de l’avion porteur devient le principal facteur limitant. Si le déploiement en Afrique de C-130J ou d’A400M en mode ravitailleur pourrait permettre à l’Armée de l’Air d’exploiter le plein potentiel d’une douzaine de BAT-120LG, il n’en sera pas forcément de même pour la clientèle exportation, qui, parfois, peine déjà à maitriser la désignation laser.

Ainsi, à plus long terme, l’expérience acquise sur cette arme, mais également sur les autres projets de Thales, pourrait permettre de développer une nouvelle famille de munitions, adaptée à des emports plus diversifiés, mais aussi à une plus grande souplesse tactique, notamment à travers des modes de guidage multiples, incluant par exemple le tir sur coordonnées. Une histoire à suivre, donc.