Texte : © Mathieu Mounicq - Toutes les photos, sauf mention contraire : © US Navy.
Le 22 septembre 2006, les derniers Grumman F-14 Tomcat de l’US Navy étaient retirés du service actif. En ce onzième anniversaire du retrait du célèbre « Matou », Defens’Aero revient sur la carrière de cet emblématique appareil dans la marine américaine. A noter que les F-14 iraniens seront traités ultérieurement.
Origines du Tomcat
Après l’arrêt du projet F-111B (version navalisée du F-111 Aardvark) au milieu des années 60, l’US Navy lance en mai 1968 le programme VFX pour son futur intercepteur embarqué.
La spécification envoyée aux constructeurs aéronautiques précise que cet appareil sera un intercepteur à longue portée dont la mission principale sera de défendre la flotte. Il devra être doté d’une bonne autonomie et être plus manœuvrable que le F-4 Phantom qu’il remplace. Son armement principal se composera de nombreux missiles air-air et en particulier du nouveau missile AIM-154 PHOENIX développé à l’origine par Hughes pour le F-111B. En mission secondaire, l’appareil devra être capable d’emporter des bombes pour faire de l’attaque au sol.
Ayant anticipé le programme, la société Grumman a d’ores et déjà travaillé sur un modèle d’intercepteur de supériorité aérienne en reprenant un certain nombre d’éléments du défunt F-111B : appareil bimoteur avec des ailes à géométrie variable, avionique et emport du missile Phoenix. Dénommé F-14 Tomcat, l’appareil est choisi en janvier 1969 par la Navy qui en commande douze prototypes, dont le n°1 effectue son premier vol en décembre 1970 !
Les débuts du F-14 sont néanmoins difficiles puisque le premier prototype s’écrase lors de son deuxième vol d’essai et de nombreuses protestations s’élèvent dans les hautes sphères contre l’appareil jugé excessivement cher. Les équipes d’essais de Grumman et de la Navy travaillent d’arrache pieds pendant six mois pour boucler le programme d’essais et démontrer que le Tomcat est à la hauteur de la tâche qui lui est confié.
En 1972, les essais ayant permis de répondre en grande partie aux critiques des détracteurs, la Navy passe commande pour 460 appareils. Cependant, le moteur Pratt & Witney TF30 équipant les premières machines ayant été jugé peu fiable lors des essais, il est alors prévu que les 60 premiers F-14 livrés soient des F-14A équipés du TF30 et que les autres soient des F-14B équipés du réacteur F110 de General Electric (réacteur mis au point pour le F-15 Eagle).
Suite à une explosion des coûts de fabrication et à des contraintes budgétaires importantes pour la Navy, il est finalement décidé de fabriquer les 463 F-14 de la commande initiale en version A. Autre conséquence de la baisse de crédits, la Navy décide de ne pas développer la mission d’attaque au sol avec le F-14 en dépit du fait qu’il soit équipé pour remplir cette mission secondaire avec notamment le système d’attaque au sol AWG-15 installé de série. A l’époque, la Navy dispose en effet des A-6 Intruder et A-7 Corsair II pour remplir cette mission.
Qui a dit que le Tomcat n'était pas un chasseur-bombardier ? Dans les années 70, la Navy teste brièvement une configuration musclée avec 14 Mk-82, 2 AIM-7, 2 AIM-9 et 2 bidons externes.
La situation budgétaire s’améliorant vers le milieu des années 80, 82 F-14A supplémentaires seront ajoutés au 460 commandés en 1972.
Le problème posé par les réacteurs TF30 n’étant pas pour autant réglé et de nombreux accidents survenant à cause d’eux, la Navy poursuit le développement du Tomcat puisque deux nouvelles versions voient le jour vers la fin des années 80 : le F-14B prévu dès l’origine avec de nouveaux moteurs puis le F-14D qui sera une version encore améliorée avec notamment de nouveaux radars et systèmes.
Les trois versions du Tomcat se côtoieront ensuite sur les porte-avions en faisant l’objet d’améliorations et de mises à jour régulières jusqu’au retrait en 2006.
Versions du F-14 Tomcat
Au cours de sa carrière, le F-14 Tomcat est décliné en trois versions comportant une trentaine de Block (version). Ces trois versions se distinguent les unes des autres par des modifications importantes des caractéristiques de l’avion :
Le F-14A nous l’avons vu est la première version livrée. Cette version est équipée de réacteurs Pratt & Witney TF30, du système radar AWG-9, du récepteur d’alerte radar ALR-45/50 et du brouilleur ALQ-126B. C’est la version du Tomcat la plus produite puisqu’au total, 545 unités ont été fabriquées pour la Navy entre 1972 et 1985.
Un F-14A de la VF-41 Black Aces attend de se ravitailler sur un KC-10 durant l'opération Enduring Freedom en Afghanistan en 2002. On remarque la forme caractéristique des réacteurs TF30 qui équipent cette version.
Le F-14B initialement reporté a finalement été construit à partir de 1987. Equipé des réacteurs
General Electric F110 et d’un nouveau récepteur d’alerte radar, l’ALR-67, il conserve le même radar et le même brouilleur que le F-14A. 38 exemplaires ont été produits et 47 F-14A ont été convertis à cette version.
Deux F-14B de la VF-103 «Jolly Rogers» en vol au-dessus du golfe Arabique, en septembre 2002. Les pétales de réacteurs F110 sont particulièrement visibles.
Le F-14D, ultime version de l’appareil produite en 1990. Equipé des mêmes réacteurs et du même récepteur d’alerte radar que le F-14B, il dispose d’un nouveau système radar, l’APG-71, d’un capteur IR situé sous le nez à côté de la caméra TCS (présente sur toutes les versions), d’un nouveau brouilleur, l’ALQ-165, et d’une nouvelle avionique comme par exemple un système de navigation inertielle ou encore une liaison cryptée de transmission de communications vocales et de données.
Enfin, cette version dispose de nouveaux sièges éjectables NACES zéro-zéro qui remplacent les
GR-7 d’origine. 37 exemplaires ont été produits et 18 F-14A ont été convertis à cette version.
Ce F-14D de la VF-31 «Tomcatters» est préparé pour le catapultage en 2005. La voie IR propre à cette version est bien visible à côté du TCS sous le nez de l’appareil
Entre les années 90 et 2006, tous les F-14 encore en service feront l’objet de la mise en œuvre d’une nacelle (ou pod) de désignation laser (LANTIRN), de différentes mises à jour de l’avionique (nouveaux bus informatiques), de la mise en œuvre de nouveaux dispositifs de contre-mesures électroniques, de nouvelles radios, etc.
A noter également qu’un total de 52 F-14 de toutes les versions est câblé dès l’origine pour emporter la nacelle TARPS (Tactical Air Reconnaissance Pod System). Ce container imposant (737 kg, 5,27 m) hébergeant deux caméras et un scanner à balayage infrarouge permit au Tomcat d’être également les yeux des porte-avions en rapportant des images de très bonne qualité en mission de reconnaissance tactique.
Le pod TARPS se loge sur la station Phoenix arrière droite. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, il n'affecte quasiment pas les performances de l'appareil.
Carrière opérationnelle
Il serait extrêmement difficile de retracer ici toute la carrière opérationnelle du F-14, nous passerons donc en revue quelques faits marquants de celle-ci en se focalisant sur des photos.
1972-1990 : Le chasseur de supériorité aérienne
• Les débuts au Vietnam :
Les deux premières flottilles de l’US Navy transformées sur F-14 sont les VF-1 «Wolf Pack» et VF-2 «Bounty Hunters» en 1972. Leur première croisière opérationnelle a lieu en 1974 sur l’USS Enterprise durant l’opération Frequent Wind, la couverture de l’évacuation de Saigon par les forces américaines et sud-vietnamiennes. Les Tomcat n’ont cependant pas l’occasion d’ouvrir le feu.
• Premières victoires en Libye :
En 1974, en Méditerranée, suite à la prise de pouvoir du Colonel Khadaffi, la Libye décrète que les eaux du golfe de Syrte font désormais partie de ses eaux territoriales. Les américains dénoncent cette violation des lois internationales mais ne prennent pas d’autres mesures, étant à cette période plus occupés en Asie.
Tout change cependant en 1981 après l’élection du président Ronald Reagan. Celui-ci relance immédiatement des manœuvres navales dites de « liberté de navigation » à proximité des côtes libyennes de manière à réaffirmer les intérêts américains dans le golfe et met en place des règles d’engagement plus agressives. Celles-ci prévoient notamment que, désormais, tout tir sur des navires ou avions américains entrainera une riposte immédiate.
La première de ces grosses manœuvres débute le 18 août 1981 avec l’envoi de deux groupes de combat aéronavals centrés autour des porte-avions USS Forrestal et USS Nimitz, au nord du golfe de Syrte. Dès le début de la journée du 18 août, des intercepteurs libyens sont envoyés au contact de la flotte américaine avec l’ordre d’abattre les appareils volant au sud de la « ligne de la mort » définissant l’entrée du golfe de Syrte pour les autorités libyennes.
La vingtaine de F-4 Phantom et F-14 Tomcat établie en patrouilles de combat manœuvre sans difficulté pour contrer les tentatives d’intrusion libyennes dans le périmètre américain, étant pour cela dirigée par des E-2 Hawkeye et appuyée par des EA-6 Prowler. Les différents appareils libyens (Mig-23, Mig-25, Mirage F-1 et Su-22) sont systématiquement interceptés en se faisant coiffer et préfèrent prudemment tourner les talons ou se laisser raccompagner au sud par les chasseurs américains.
Le lendemain, le 19 août, les intercepteurs américains reprennent leur poste de patrouille de combat dès 6h du matin. Comme la veille, une des zones de patrouille se situe au sud de la « ligne de la mort ». Elle est pourvue par deux F-14A de la VF-41 «Black Aces» chacun armé de deux AIM-9 SIDEWINDER et deux AIM-120 SPARROW avec le canon M-61 Vulcan approvisionné. La patrouille se déroule sans incident jusqu’à 7h15 où, alors que les deux Tomcat vont rentrer au porte-avions, le radariste de l’un des F-14 et l’E-2 Hawkeye détectent un contact à 130 kilomètres en montée rapide vers la position de la patrouille.
Les deux F-14 manœuvrent donc de manière à pouvoir intercepter l’intru en position avantageuse par le flan mais le contact, guidé par les contrôleurs au sol, réagi à chaque virage des Tomcat en se virant vers eux. Les deux Tomcat virent et accélèrent pour se mettre face à la menace. La vitesse de rapprochement étant de 1100 nœuds, la distance diminue rapidement et, à 15 km, le plot radar se dédouble en deux plots distincts. Quelques secondes après, les deux contacts sont visibles droit devant pour le leader des F-14 mais pas pour son ailier qui se tient en formation défensive 1500 m au-dessus de lui. Ce dernier finit par apercevoir les deux appareils que son leader vient d’identifier à la radio comme deux Su-22 qui ne vont pas tarder à le croiser.
Lors du croisement, le leader des F-14 voit avec stupéfaction le fuselage du leader libyen devenir orange et une trainée de fumée apparaitre devant son avion ! Il annonce immédiatement à la radio qu’il s’est fait tirer dessus et effectue un virage en larguant des paillettes et des leurres infrarouges derrière les Su-22 qui viennent de se séparer. Voyant son ailier engager le leader des Su-22, il se concentre alors sur le deuxième appareil et lui expédie un AIM-9 SIDEWINDER qui le fait exploser, provoquant l’éjection du pilote. Quelques secondes plus tard, le deuxième F-14 abat à son tour le Su-22 leader également à l’aide d’un SIDEWINDER. Là encore le pilote libyen est en mesure de s’éjecter.
Finalement, les deux Tomcat se regroupent et mettent le cap sur le Nimitz. La première victoire officielle d’un F-14 de la Navy vient de se produire. Au total, l’engagement aura duré 3min 44s !
Pendant les années suivantes, les Tomcat font de nombreuses croisières en Méditerranée. En effet, après des vagues d’attaques terroristes ciblant les puissances occidentales, la marine américaine mène de nombreuses opérations sur le pourtour méditerranéen : un raid sur la Syrie après les évènements de Beirut en 1983, le déroutement par des F-14 d’un Boeing 737 d’Egypt Air transportant des terroristes en 1985, ou encore différents raids sur la Libye en 1986 (opérations Attain Document I et II, Prairie Fire et El Dorado Canyon).
Entre avril 1986 et 1989, les appareils libyens font demi-tour dès qu’ils détectent les émissions radar des F-14. Néanmoins, la donne change en janvier 1989 lorsque le 04, deux Mig-23MF en patrouille près des côtes de Libye mettent soudainement le cap vers une patrouille de deux F-14A de la VF-32 «Swordmen» déployés sur le porte-avions USS Kennedy.
Appliquant leurs nouvelles règles d’engagement tenant compte des armements longue portée équipant désormais les appareils libyens, le leader des Tomcat ouvre le feu avec deux missiles AIM-7 SPARROW à 19km de distance. Néanmoins, les Mig évitent les missiles en virant et les deux F-14 se retrouvent bientôt en combat visuel avec eux.
Le leader abat un des Mig-23 avec un AIM-9 et son ailier fait exploser le second Flogger avec un AIM-7 alors que les deux pilotes libyens s’éjectent. Les deux «Swordmen» quittent alors la zone sans attendre alors que 2 nouveaux Mig-23 se dirigent vers la zone.
Deux F-14A de la VF-32 «Swordmen» au cours d'opérations de catapultages sur le pont de l'USS Kennedy, en 1989.
1991-1996 : Un chasseur avec des bombes
Lorsque survient la guerre du Golfe en 1991, les F-14 sont majoritairement cantonnés à des patrouilles de combat au-dessus du golfe Persique. Les Tomcat sont en effet dépendant des AWACS pour pouvoir confirmer l’identité des contacts radars avant tout engagement, faute de système d’interrogation IFF assez performant et de procédures adaptées pour être intégrés en coalition internationale.
Aussi, ne pouvant pas totalement respecter les règles d’engagement hors de portée visuelle, ils sont peu engagés dans les combats aériens qui surviennent sur l’Irak, au grand dam de leurs pilotes.
Lors des rares occasions où les AWACS ne les détournent pas des opportunités de combat, les appareils irakiens font demi-tour dès que les Tomcat les illuminent au radar. Leur seule victoire du conflit survient le 06 février 1991 aux dépends d’un Mi-8 irakien. A titre de comparaison, les pilotes de F-15 Eagle abattent 35 appareils irakiens durant le conflit. Ce maigre résultat associé à des couts de maintenance très élevés commencent à menacer l’avenir du F-14 au sein de l’US Navy, notamment dans les hautes sphères de Washington.
Alors que cette dernière retire déjà l’A-6 Intruder et a dû annuler le programme A-12, elle cherche à justifier le maintien en service du Tomcat en remettant à l’ordre du jour sa mission secondaire laissée de côté pendant vingt ans : le F-14 larguera donc des bombes.
Les premières flottilles de Tomcat capables de larguer des bombes lisses de type Mk-82, Mk-83 et Mk-84 participent alors aux opérations en Bosnie en 1995. C’est là le baptême du feu du Bomcat, mais il connaitra encore un grand nombre de missions de combats dans la décennie suivante.
1997-2006 : Le chasseur-bombardier
La Navy améliore grandement le Tomcat pour en faire un vrai chasseur-bombardier. Elle l’équipe ainsi en 1996 du pod de désignation laser du F-15E Strike Eagle (LANTIRN) et met à jour l’avionique et les câblages de manière à permettre le largage de bombes guidées par lasers (GBU) et GPS (JDAM).
Les deux premières unités à mettre en œuvre les bombes guidées laser au combat sont les VF-32 «Swordmen» et VF-213 «Black Lions» durant l’opération Desert Fox en décembre 1998 au-dessus de l’Irak.
Les équipages de Tomcat développent par la suite la compétence de contrôleur aérien avancé en vol - FAC(A). A partir des opérations au Kosovo en avril/mai 1999, ils vont ainsi mener des missions de nuit durant lesquelles ils font de la recherche d’objectifs grâce à leur pod LANTIRN puis guident les F/A-18C pendant leur run tout en illuminant les cibles pour leurs munitions.
Le Matou n’en reste pas moins un chasseur. En effet, les 05 janvier et 09 septembre 1999, des F-14D des VF-213 «Black Lions» et VF-2 «Bounty Hunters» ouvrent le feu à très longue distance avec des missiles PHOENIX sur des Mig-25 et Mig-23 irakiens violant la zone d’exclusion aérienne imposée à l’Irak par l’ONU au-dessus de l’Irak (opération Southern Watch).
Les missiles ratent cependant leurs cibles à chaque fois car les chasseurs irakiens font immédiatement demi-tour lorsqu’ils réalisent qu’on leur a tiré dessus.
Le F-14 termine sa carrière largement engagé dans des missions d’attaque au sol entre 2002 et 2005 en Afghanistan et en Irak. A cette occasion, les appareils réalisent ainsi un total d’environ 28 000 heures de vol et larguent un total d’environ 3 000 bombes lisses, GBU et JDAM. Beau bilan de «Mudmover» pour un appareil conçu à l’origine comme un intercepteur !
Très belle déco rétro pour l'avion du commandant de la VF-213 «Black Lions» pour les derniers moments du F-14 dans l'US Navy.
Cela fait onze ans aujourd’hui que les derniers F-14 américains ont coupé leurs moteurs pour la dernière fois. La plupart ont désormais été détruits, les autorités américaines craignant en effet la mise en place d’un marché noir de pièces détachées pouvant alimenter l’Iran. Les autres sont visibles uniquement en statique dans différents musées aux Etats-Unis.
Il y a néanmoins quelques rumeurs faisant état d’une demi-douzaine de machines encore stockées en lieux sûr avec les pièces nécessaires à leur remise en état de vol. Peut-être un jour nous sera-t-il donné la possibilité de voir un Matou reprendre son envol ? Souhaitons-le…