REPORTAGE - Texte : © Mathieu Mounicq.
Le 29 avril 2016, le VMAQT-1 (Marine Tactical Electronic Warfare and Training Squadron 1) a été dissout sur sa base aéronavale de MCAS (Marines Corps Air Station) Cherry Point, située en Caroline du Nord.
Defens'aero était présent et revient sur l'histoire de cette unité, la dernière de transformation sur Grumman EA-6B Prowler.
Trois des appareils de la VMAQT-1 lors de la cérémonie de dissolution sur la base de MCAS Cherry Point. © Rami Khanna-Prade.
Genèse de la guerre électronique dans l'US Marines Corps :
Les origines de la guerre électronique aérienne pour le corps des Marines remontent à la guerre de Corée. Le 15 septembre 1952 est ainsi créé sur AD-4 Skyraider le Marine Composite Squadron One (VMC-1) sur la base de Pohang (K-3).
Le rôle de l'unité est alors de réaliser de la veille radar aéroportée et du brouillage électronique afin de supporter les autres appareils engagés au-dessus de la Corée du Nord.
A la fin du conflit en 1953, les appareils assurent pendant un temps la surveillance de la ligne de démarcation entre les deux pays (DMZ) avant d'être redéployés à Hawaï sur la base de Kaneohe Bay. L'unité change alors d'appellation en fusionnant avec le Marine Photographic Squadron One (VMJ-1). Elle devient ainsi le VMCJ-1.
La dimension « composite » de cette unité apparaît particulièrement lorsque l'on regarde les appareils employés pendant la guerre du Vietnam : entre 1964 et 1972, le VMCJ-1 vole sur RF-4C Phantom et sur RF-8A Crusader pour la reconnaissance photo, et sur EF-10B Skynight pour la guerre électronique.
Le squadron opère alors depuis les différents porte-avions de l'US Navy déployés sur la Yankee Station dans le golfe de Tonkin ou depuis la base de Da Nang au Sud-Vietnam.
Un EF-10B Skynight de la VMCJ-1 sur la base de MCAS El Toro (Californie) au début des années 70. © US Navy National Museum of Naval Aviation.
Vers la fin de la guerre du Vietnam, la guerre électronique et la reconnaissance sont de nouveau séparées avec la création de deux unités dédiées à chaque spécialité : le Marine Tactical Electronic Warfare Squadron Two (VMAQ-2) d'un côté et le Marine Photo-Reconnaissance Squadron Three (VMFP-3) de l'autre.
Le VMAQ-2 vole alors sur Grumman EA-6A « Electric Intruder », un A-6 Intruder équipé du système de brouillage électronique AN/ALQ-86 sous voilure et au sommet de la dérive et dont seuls 28 appareils ont été construits spécifiquement pour les Marines.
Un EA-6A Electric Intruder du VMAQ-2 survole MCAS Cherry Point, le 1er décembre 1978. On remarque le lapin « Playboy », emblème de l'unité. © USMC.
Les avions du squadron sont alors répartis en trois détachements (Alpha, Bravo et Charlie) qui tournent sur les différents porte-avions de la Navy partout dans le monde.
A partir de 1977, le VMAQ-2 passe sur le Grumman EA-6B Prowler, avion réellement dédié à la guerre électronique et à la suppression des systèmes sol-air avec le système de brouillage AN/ALQ-99, le missile anti-radar AGM-88 Harm, une avionique protégée contre les radiations et un équipage de quatre hommes.
Suivant ce changement de monture, les trois détachements sont alors rebaptisés Xray, Yankee et Zulu.
A partir de l'automne 1990 les détachements Yankee et Zulu du VMAQ-2 sont déployés sur la base de Sheikh Isa, à Bahreïn, pour participer aux opérations « Desert shield » puis « Desert storm ».
Pendant ce temps, afin de couvrir l'absence des moyens déployés dans le Golfe, le détachement Xray reste détaché pendant treize mois d'affilés dans le Pacifique (au lieu des six mois que représente habituellement un détachement). Cet épisode constitue encore à ce jour le plus long détachement en temps de paix d'une unité de l'aviation des Marines.
Historique de la VMAQ-1 puis VMAQT-1 :
La guerre du Golfe en 1991 est riche d'enseignements pour toutes les aviations de la coalition de l'ONU.
Du côté de l'US Marines Corps, le résultat est sans appel en ce qui concerne la guerre électronique. D'abord, les Prowler ont été extrêmement utiles afin de neutraliser les défenses anti-aériennes irakiennes (avec leurs homologues de la Navy et les EF-111 Raven de l'US Air Force), permettant ainsi de prévenir les pertes en appareils de la coalition.
Ensuite, du fait de l'utilisation très importante des appareils, il est apparu que la VMAQ-2 seule ne peut pas assurer la mission de brouillage et de suppression des défenses aériennes pour le corps des Marines. Face à ces constatations, le 1er juillet 1992, les détachements Xray, Yankee et Zulu deviennent respectivement le VMAQ-1, le VMAQ-2 et le VMAQ-3.
De plus, le squadron de réserve VMAQ-4 qui vole depuis 1981 sur les anciens EA-6A Electric Intruder du VMAQ-2 passe lui aussi sur Prowler et devient un squadron opérationnel à part entière. Chaque VMAQ a une dotation de cinq appareils.
1er mars 2016, dernière photo de famille pour les 4 VMAQ qui volent ensemble sur Prowler depuis 1992. © USMC.
Le VMAQ-1 s'installe sur la base de MCAS Iwakuni au Japon. Elle prend pour emblème la banshee, une créature féminine surnaturelle de la mythologie celtique irlandaise considérée comme une messagère du monde des morts et adopte comme devise « Tairngreacht Bas » qui signifie « Mort annoncée » en celtique.
Cette devise correspond tout à fait à la mission des Prowler qui, lorsqu'ils brouillent les radars, annoncent l'arrivée d'un raid aérien.
Le VMAQ-1 nouvellement créé intervient alors en Bosnie entre 1995 et 1996, puis assure lors de deux tours d'opérations en Turquie le respect de la no-fly zone (NFZ) lors de l'opération « Northern Watch » au-dessus de l'Irak entre 1997 et fin 1998 - début 1999.
A l'occasion de ce deuxième déploiement, les Prowlers font parler la poudre à plusieurs reprises. En effet, le 28 décembre 1998, un site de SA-3 Goa irakien engage des F-15E de l'USAF assurant le respect de la NFZ.
Les jours suivants, les irakiens effectuent de nouveau des verrouillages radars et procèdent à des tirs canons et missiles sur les avions de la coalition : les Prowler ripostent et tirent ainsi 4 missiles HARM entre le 13 et le 28 janvier 1999.
Un EA-6B du VMAQ-1 emportant un AGM-88 Harm sous l'aile droite à l'occasion d'un vol d'entraînement. © USMC.
En mars 1999, les « Screaming Banshees » sont en train de finir leur déploiement à Incirlik lorsqu'elles sont redéployées en Italie afin d'être engagées au-dessus du Kosovo et de la Serbie dans le cadre de l'opération « Allied Force » en support du VMAQ-2.
Là encore, les Prowler sont particulièrement utiles en détruisant et en brouillant les défenses anti-aériennes serbes. L'engagement des Marines dans ce conflit a apporté là encore son lot de retours d'expérience pour la communauté Prowler.
Regard critique sur les opérations au Kosovo :
Lors de l'audience du Congrès du 26 octobre 1999 portant sur la guerre aérienne au Kosovo, le Brigadier Général Robert M. Flanagan (USMC) commandant le corps expéditionnaire numéro 2 des Marines présente aux membres du Congrès trois constatations sur l'emploi opérationnel de l'appareil lors de cet engagement.
Il souligne d'abord les limitations d'emploi du Prowler de nuit en l'absence de jumelles de vision nocturne (JVN), d'une avionique adaptée au vol de nuit et d'un entrainement suffisant des équipages dans ces conditions particulières.
Il fait ensuite part des difficultés pour les équipages d'EA-6B à appréhender la situation tactique dans son ensemble en l'absence de liaison de données L-16.
Il termine finalement en indiquant que les onze machines engagées ont connu des pénuries de pièces de rechanges étant donné le nombre d'heures importantes réalisées par chaque cellule (95h par mois, au lieu des 36h prévues dans le plan de maintenance).
Ces limitations sont entendues par le Congrès qui approuve une mise à niveau des appareils devant avoir lieu sur la décennie suivante et impliquant l'intégration de JVN, l'installation de la L16, et la prolongation de l'emploi de l'appareil jusqu'en 2015 (repoussée ultérieurement à 2019).
Le VMAQ-1 revient par la suite au-dessus de l'Irak durant l'année 2000 et à l'été 2001, de nouveau dans le cadre de la no-fly zone au-dessus du 36° parallèle (« Northern Watch »).
Suite au 11 septembre 2001, les Etats-Unis lancent l'invasion de l'Irak en mars 2003 en déclenchant l'opération « Iraqi freedom ».
Le VMAQ-1 prend alors part à l'invasion depuis la base aérienne de Prince Sultan, en Arabie Saoudite, durant un déploiement de sept semaines, effectuant 1 130 heures de vol.
L'Irak devient alors le théâtre de déploiement de l'unité pour les cinq années suivantes avec trois rotations supplémentaires durant lesquelles les EA-6B opèrent directement en Irak depuis la base d'Al Asad, brouillant les communications des insurgés et bloquant le déclenchement des IED par téléphone portable au profit des Marines et des soldats sur le terrain.
Les mécaniciens préparent l'EA-6B serial 162227 du VMAQ-1 pour une prochaine mission le 29 juillet 2005, à Al Asad. © USMC.
A partir de 2009, le VMAQ-1 intervient en Afghanistan depuis la base aérienne de Bagram, en alternance avec ses unités sœurs des VMAQ-2, VMAQ-3 et VMAQ-4.
En mars 2011, il revient à Aviano (Italie), dans le cadre de l'opération « Unified Protectors » au-dessus de la Libye. Signe des temps, l'US Navy emploie à cette occasion pour la première fois son nouvel avion de guerre électronique, le Boeing EA-18G Growler qui remplace peu à peu les Prowlers sur les porte-avions.
Entre la fin d'année 2011 et 2013, le VMAQ-1 revient ensuite dans les contrées afghanes.
L'EA-6B, serial 158542, du VMAQ-1 déployé à Bagram en 2011. Cet avion particulier est le « Frankenprowler », il a en effet été construit avec les pièces de trois Prowler ayant servi de banc d'essai. © USAF.
En 2013, le VMAQ-1 récupère le rôle d'escadron de formation et de réserve sur Prowler pour les équipages des Marines. En effet, l'US Navy abandonne à cette date la transformation de ses équipages sur Prowler étant donné leur proche retrait du service en 2015.
Basé à MCAS Cherry Point, en Caroline du Nord, il devient alors le VMAQT-1 (T pour Training), et reçoit une dotation d'une dizaine d'appareils.
Dernier point fixe pour ces trois machines du VMAQT-1 le 29 avril 2016. A l'issue de leur vol leur squadron sera dissout. © Mathieu Mounicq.
Il forme alors entre 2013 et fin avril 2016 les derniers équipages de Prowler pour les trois escadrons encore actifs avant le retrait de l'appareil, qui interviendra en 2019 normalement.
En effet, aucun successeur n'est pour l'instant prévu et l'US Marines Corps devra alors compter sur les flottilles de Growler de la Navy pour mener la guerre électronique en support de ses troupes.
Le 29 avril 2016, à l'occasion du meeting aérien célébrant les 75 ans de la base de MCAS Cherry Point, la VMAQT-1 a été dissoute au coucher du soleil. Pendant la cérémonie, trois des dernières machines de l'unité ont réalisé un passage afin de clôturer dignement ses 24 années d'existence.
C'était là la dernière occasion de voir les « Screaming Banshees » !
Portfolio du VMAQT-1 :
Le Prowler Serial 163033 portait une superbe décoration pour la dissolution du VMAQ-1. © Mathieu Mounicq.