Si l'Armée de l'Air française a fêté ses 80 ans en 2014, puisqu'elle a officiellement été créée en 1934, un nombre important d'escadrilles fêtent, elles, leur 100 ans d'existences et de traditions, qui perdurent au fil des générations de pilotes. C'est notamment le cas, cette année, de l'Escadron de Chasse 2/4 «La Fayette«, qui a réalisé ses premières sorties aériennes dès 1916, en pleine première guerre mondiale.
Retour sur 100 années de traditions et d'opérations en Europe, de Verdun à la Bosnie, mais aussi en Afrique, de la Tunisie à la Libye, et au Moyen-Orient, en Irak et en Syrie.
Avant son entrée en guerre en 1917, les Etats-Unis observaient une neutralité face à la guerre qui se déroulaient sur le sol européen entre les forces en présence, avec notamment la Triple-Entente (France, Royaume-Uni, Russie) et la Triple-Alliance (Allemagne, Autriche-Hongrie, Turquie).
Cependant, des citoyens Américains, pour la plupart des jeunes sportifs et athlètes qui résidaient en Europe, souhaitent eux-aussi s'engager aux côtés des armées Françaises, mais leurs participations dans les combats au sein des unités Françaises entraîneraient la perte de leur nationalité, en raison de la neutralité de Washington.
Toutefois, certains individus persistèrent et s'organisèrent alors afin que leur engagement puisse se faire. C'est notamment le cas de riches citoyens Américains, vivant en Europe, qui souhaitaient à cette époque constituer une escadrille, puisque certains disposaient déjà de connaissances sur l'aéronautique et sur le pilotage des avions en service au début du XXè siècle.
Avec le soutien et les dévouements de Norman Prince, qui avait appris à piloter, mais aussi avec le soutien de William Thaw, fils d'une famille Américaine fortunée, l'Escadrille Américaine, constituée de volontaires de nationalités américains, est officiellement créée dès le 21 Mars 1916, après une autorisation du Ministère de la Guerre, qui pensait alors que l'engagement de pilotes Américains serait soutenu par l'opinion public, qui pousserait alors le gouvernements Américain à s'engager dans la guerre.
Les différents pilotes Américains, dispersés au sein des nombreux groupes aériens Français sont alors rassemblés au sein de cette seule et même escadrille, qui sera déployée un mois seulement après sa création, le 20 Avril 1916, sur le terrain d'aviation de Luxeuil-les-Bains (aujourd'hui Base Aérienne 116), aux côtés de plusieurs dizaines de militaires, que ce soit les mécaniciens, les cuisiniers, etc... A ce moment-là, l'Escadrille Américaine est commandée par le capitaine Georges Thénault, et son second, le lieutenant de Laage de Meux.
Rapprochée du front peu de temps plus tard, elle recevra à ce moment là ses premiers appareils, les excellents et redoutables Nieuport 11 «Bébé». Rapide et très maniable, les pilotes vont avoir pour missions principales la défense aérienne et la protection des bombardiers chargés de supprimer les défenses ennemies. La première victoire est acquise le 18 Mai 1916, par Kiffin Rockwell, qui abattit un biplan allemand.
Réplique d'un Nieuport 23, arborant les marquages de l'Escadrille La Fayette - Photo © Tom Smith / via Wikimedia.
Elle est rapidement envoyée à Verdun, afin de mener des missions depuis le terrain de Bar-le-Duc. Au cours des 146 combats que l'Escadrille va mener dans cette bataille de Verdun, les pilotes Américains vont obtenir treize victoires, aujourd'hui confirmées, au prix d'un pilote abattu et de trois grièvement blessés.
Elle retourne à Luxeuil-les-Bains peu de temps plus tard, où elle va reprendre sa mission originelle. Malheureusement, Kiffin Rockewell et Norman Prince vont mourrir, respectivement, en Septembre et Octobre 1916, lors d'un combat aérien pour le premier (enterré en France à Luxeuil), et à la suite de blessures occasionnées pendant un combat pour le second.
Au cours de la fin de la même année, deux changements importants vont avoir lieu au sein de cette unité. La première transformation est le passage du Nieuport 11 au Spad, bien mieux armé que les premiers appareils. Engagée dans la bataille de la Somme, l'Allemagne et son gouvernement vont apprendre l'existence de l'Escadrille Américaine.
Remontés contre cette participation et évoquant ici une non-neutralité des Etats-Unis, la France va alors prendre la décision d'opérer un changement de nom afin d'éviter des ennuis de Washington : L'Escadrille Américaine devient Escadrille La Fayette, en hommage à Gilbert du Motier de La Fayette, qui est venu de France soutenir les insurgés Américains qui se battaient pour leur indépendance contre le Royaume de Grande-Bretagne, et dorénavant, l'Escadrille arbore sur ses appareils une tête de Sioux, source de nombreux symboles (voir le lien intégré ci-avant).
Avec l'entrée en guerre des Etats-Unis, certains pilotes Américains rejoignirent alors l'United States Army Air Corps, qui leur promettait des promotions, dont des montées en grade dans les états-major. Cependant, si ces pilotes sont contents de pouvoir afin combattre sous le drapeau américain, un pilote, Eugene James Bullard, ne verra pas cette expérience comme positive. En effet, souhaitant rejoindre lui-aussi l'Air Corps, son incorporation lui est refusée en raison de sa couleur de peau, puisque Bullard était noir. Seul l'Etat-major français et ses militaires reconnaîtront ses exploits durant les batailles aériennes.
Le 18 Février 1918, l'Escadrille La Fayette est officiellement supprimée, et ses traditions vont perdurer au sein du 103° Aero Squadron avec les mêmes avions et les mêmes personnes, et qui appartiennent dorénavant à l'United States Army Air Service, ancêtre de l'actuelle US Air Force.
A la fin de la première guerre mondiale, l'Escadrille La Fayette comptabilise huit citations à l'ordre de l'Arme Aérienne, et l'ensemble des trente-neuf pilotes qui se sont succédés ont obtenu 199 victoires, officiellement créditées.
La guerre du Rif (1921-1926), très peu connue par l'opinion publique, et pourtant elle mériterait beaucoup d'intérêt, notamment par sa forme et les solutions mises en oeuvre pour parvenir à la victoire de la France et de l'Espagne face à la république du Rif, a vu l'engagement d'anciens pilotes de l'Escadrille «La Fayette».
Un excellent et très complet article, intitulé «L'Escadrille La Fayette : Des aviateurs américains dans la guerre du Rif», a été écrit par El-Mostafa Azzou, docteur à l'Université d'Oujda, au Maroc. Il est téléchargeable au format .PDF ci-dessous.
P-36 du «La Fayette» utilisé pendant la seconde guerre mondiale - Photo (avec l'aimable autorisation de son auteur) : © Gaëtan Marie - Profil consultable en cliquant ici !
Si le 18 Février 1918 met un terme officiellement à l'Escadrille La Fayette en tant que telle, ses traditions ne sont pas pour autant supprimées elles-aussi, et elles vont être reprises par différents groupes de chasse, comme beaucoup d'autres.
Ses traditions, la N.124 «Sioux» (très connue), mais aussi, la SPA 167 «Cigognes de Romanet», créée quelques semaines avant la fin des combats de 14-18, vont être reprises en Septembre 1921 par «le 3ème groupe du 3ème régiment d'aviation de chasse (3ème RAC) de Châteauroux, puis [par] le groupe de chasse du 35ème régiment d'aviation mixte (35ème RAM) de Lyon Bron à partir du 1er juin 1924», selon les écrits de l'excellent site traditions-air.fr.
Rassemblées en 1933, les escadrilles vont alors être constituées au sein du Groupe de Chasse II/5 «La Fayette», qui va être engagé six ans plus tard dans les combats aériens et les missions de bombardement tout au long de la seconde guerre mondiale.
Les premiers appareils, des P-36 «Hawk» du constructeur américain Curtiss, vont être la monture des pilotes du Groupe, qui vont alors défier les chasseurs et les pilotes allemands de la Luftwaffe, dès les premières heures de l'invasion allemande en Mai 1940.
Lors de la signature de l'armistice le 22 Juin 1940 avec l'Allemagne hitlérienne, le Groupe va s'envoler en Afrique du Nord, dans les terrains d'aviation de l'Armée de l'Air française. Le premier terrain d'aviation, d'une longue série, sera celui d'Alger-Maison Blanche, en Algérie, en Juin 1940.
Engagé aux côtés des Alliés dans les batailles d'Afrique du Nord, le Groupe, qui a pris l'appellation «La Fayette», va être envoyé à Casablanca, au Maroc (1940), à Dakar-Ouakam, au Sénégal (1940-41), à Sidi Rahal et à Fès, au Maroc (1942). Les opérations les mèneront aussi à Thélepte, Le Kouif, et Biskra, en Tunisie (1943), et surtout de nombreux autres terrains de l'Afrique du Nord.
Après avoir été équipés de P-40 «Warhawk», et après avoir participé à la campagne d'Italie en 1943, les gars du «La Fayette» refouleront la France métropolitaine en Septembre 1944, où ils participeront aux combats dans le Nord-Est de la France, ainsi qu'en Allemagne, jusqu'à la fin de la guerre.
Au cours des batailles de la seconde guerre mondiale, le Groupe de Chasse II/5 «La Fayette» remportera 103 victoires aériennes, mais perdra aussi trente-deux pilotes.
En 1947, le Groupe de Chasse II/5 «La Fayette» prend le nom de celui que l'on connait aujourd'hui : Escadron de Chasse 2/4 «La Fayette».
Un Mirage IIIE de l'escadron, armé de la bombe atomique tactique AN-52 // Photo : © SIRPA Air - Coll. Henri Guyot // Source : http://maquette72.free.fr/themes/lafayette/IIIE_normal/IIIE_normal.php
Après sa transformation en escadron de chasse, le «La Fayette» de la 4ème Escadre de Chasse conserve ses deux précédentes escadrilles, la N.124 et la SPA 167, et intègre dorénavant la SPA 160 «Diables rouges», qui volait sous les traits du Groupe de Chasse II/4 pendant la seconde guerre mondiale.
Peu de temps après la fin des combats en Europe, l'escadron, ses avions, ses pilotes, ainsi que les mécaniciens, sont envoyés en Indochine en 1947 afin de soutenir les militaires Français au sol, qui se battent contre le Viêt Minh, une organisation armée qui souhaitait conserver l'Indochine Française, qu'il avait conquis peu de temps plus tôt. Les opérations terminées en Asie, l'escadron rentre alors en Occident, mais sera de nouveau envoyé dans une seconde guerre de décolonisation où la France est engagée, en Algérie.
A la suite de ces deux conflits, l'escadron s'installe, en période de Guerre Froide, sur la base aérienne de Friedrichshafen, dans le Sud de l'Allemagne, puis sur l'ancienne base aérienne 136 de Bremgarten, située dans le Sud-Ouest de l'Allemagne, sur la rive droite du Rhin, zone contrôlée pour le gouvernement Français, et située dans la République Fédérale Allemande.
Transformé sur avion à réaction, en acquérant, dans un premier temps, des F-84F «Thunderstreak», l'escadron va s'installer sur l'actuelle base aérienne 116 de Luxeuil-les-Bains, en Haute-Saône. En Octobre 1966, après leur transformation, les premiers pilotes de la 4ème Escadre délaissent les F-84F afin de s'équiper d'un appareil Français : les Mirage IIIE de Dassault Aviation.
Presque l'ensemble des missions vont pouvoir être assurées par les Mirage IIIE et leurs pilotes, comme la permanence opérationnelle, les frappes conventionnelles et nucléaires, la défense aérienne, le vol en basse altitude, etc... L'évolution et l'utilisation des Mirage IIIE au sein de la 4ème Escadre, que ce soit en opération, mais aussi lors d'exercices nationaux ou bilatéraux est visible dans cet article très détaillé.
Après 164 000 heures de vol, les Mirage IIIE laissent la place aux Mirage 2000N, et les missions air-sol deviennent alors le coeur de métier des pilotes et des mécaniciens du «La Fayette».
C'est en 1989 que les premiers Mirage 2000NK1, destinés aux missions de frappe nucléaire, arrivent à l'EC 2/4, avec le missile de croisière air-sol ASMP à tête nucléaire. L'Escadron, qui passera sous le commandement des Forces Aériennes Stratégiques en 1991 en raison de sa vocation nucléaire, opère toujours depuis la base de Luxeuil et s'entraînement uniquement pour cette mission.
Cependant, avec les multiples restructurations qui sont mises en place au sein de l'Armée de l'Air, le 2/4 migre et se pose sur la base aérienne 125 d'Istres-Le Tubé en Septembre 2011, dans le Sud de la France, où il se trouve encore aujourd'hui. Lors de sa migration, qui fait écho à la dissolution de l'Escadron de Chasse 3/4 «Limousin», le 2/4 «La Fayette» devient le seul et unique escadron de l'Armée de l'Air à mettre en oeuvre le M2000N. Il intègrera également deux nouvelles SPA : la SPA 96 «Gaulois», du feu EC 3/4 «Limousin», ainsi que la SPA 81 «Lévrier», qui volait auparavant à l'EC 1/4 «Dauphiné».
Depuis 1989 donc, le 2/4, tout en assurant la mission de dissuasion nucléaire et en menant des exercices de simulation de frappe nucléaire (Poker, Belote, Minotaure), l'Escadron a participé à des opérations extérieures pour mener des missions conventionnelles grâce au passage à la version modernisée du Mirage 2000NK2.
La première OPEX est la Bosnie, où ils mèneront de nombreuses missions de bombardement jusqu'en 1995. S'en suit, en 2011, l'opération Harmattan au-dessus de la Libye, avec l'engagement des 2000NK3, capables de frapper avec des bombes air-sol guidées laser GBU-12, grâce à l'illumination de la cible faite par la nacelle de désignation laser du second avion de la patrouille, généralement un Mirage 2000D.
Enfin, et plus récemment, le «La Fayette» s'est illustré au-dessus de l'Irak et de la Syrie depuis la base aérienne jordanienne de Prince Hassan. Pendant six mois, d'Août 2015 à Février 2016, les trois 2000N ont effectué 300 sorties, près de 800 ravitaillements en vol, et délivré plus de 140 munitions en environ 1400 heures de vol. Ce qui représente un peu plus de 1,5 sorties par jour au cours de ces six mois.
Les Mirage 2000N ont profité de ce déploiement pour utiliser pour la toute première fois en opération l'emport d'une configuration à quatre GBU-12. Une première mission a été réalisée dans cette configuration le 13 Novembre 2015, peu de temps après les attentats de Paris, et le premier tir avec cet emport quatri-bombes s'est fait le 15 Novembre de la même année, au cours d'un raid aérien planifié sur des positions de l'Organisation Etat Islamique à Raqqa, en Syrie.
Photo : © Armée de l'Air - Le drapeau du «La Fayette» lors d'une cérémonie organisée au mémorial de l'Escadrille.
Les Ramex Delta, patrouille de démonstration du 2/4 que l'on ne présente plus, disposent, pour la saison 2016 des meetings aériens, d'un Mirage 2000N peint avec une livrée spéciale pour la commémoration du centenaire.
Dessinée par Régis Rocca et peinte par Sébastien «Harry» Bault, habitués des décorations spéciales pour les aéronefs de l'Armée de l'Air, et notamment ceux des Nato Tiger Meet, cette livrée rappelle l'amitié franco-américaine avec la présence des drapeaux des deux nations, ainsi que leurs cocardes.
Une cérémonie sera organisée à cette occasion (des détails seront communiqués sur ce blog dans les temps voulus), ainsi qu'au mémorial de l'Escadrille «La Fayette», situé dans le parc de Villeneuve-l'Étang, à Marnes-la-Coquette, en Île-de-France.
Construit entre 1926 et 1928, il prend la forme d'un arc, où sont représentés des scènes de combat aérien de la première guerre mondiale, et où on peut également y lire les noms des aviateurs Américains tués au combat, avec également leurs corps, qui reposent sous le monument.
Photos : © A. Courtillat.