Photo : Image aérienne du lieu du crash, incluse dans le rapport officiel de l'enquête internationale.
Le 26 Janvier 2015, le monde des professionnels et des passionnés de l'aéronautique apprenait avec tristesse le terrible accident qui venait de se dérouler sur la base aérienne espagnole de Los Llanos, à Albacete, en Espagne, pendant le Tactical Leadership Program.
Quelques instants après son décollage, un F-16D de la Force Aérienne Grecque s'est écrasé sur le tarmac de la base aérienne, donnant la mort au pilote et au navigateur grec, à neuf aviateurs de l'Armée de l'Air française, et en blessant une trentaine de militaires au sol, dont dix-sept grièvement.
Six mois après cet accident, le groupe d’enquête de sécurité, composé de la France, de l’Italie, de l’Espagne, de l’Allemagne, des Etats-Unis, et présidé par la Grèce, vient de publier son rapport d'enquête qui permet d'apporter des réponses à de nombreuses questions, restées sans réponse jusqu'à aujourd'hui.
Ce groupe d'enquête international, avant de dévoiler son rapport, tient à préciser que "l’enquête sur l’accident d’aéronef n’a pas pour objectif de déterminer les fautes et responsabilités. L’unique objectif de l’enquête et du rapport final est la prévention des accidents et des incidents". Par ailleurs, "sauf indication contraire, les recommandations faites dans le présent rapport s’adressent aux organismes de régulation ayant autorité pour les sujets concernant la recommandation. Il incombe à ces autorités de décider des actions à mettre en oeuvre, le cas échéant".
Comme c'est le cas d'un grand nombre d'accidents aériens, ici aussi, cet accident résulte d'une accumulation de plusieurs facteurs qui ont conduit au crash du F-16D Block 50, porteur du numéro de série 93-1084, et appartenant au 341ème Squadron. Cet appareil "emportait un missile d’exercice de type AIM-9 en Station 1, un pylône d’armement en Station 3, un pylône carburant et son réservoir pendulaire largable de 370 gallons en Stations 4 et 6, un pylône carburant et son réservoir pendulaire largable de 300 gallons en Station 5 ( point central), un pylône armement avec un missile d’entraînement CATM-88B en Station 7, et un pod ACMI en Station 9. Tous les réservoirs pendulaires largables étaient remplis de carburant".
Selon le rapport international, traduit en français par le Ministère de la Défense, le pilote de chasse grec a effectué son "« l'Inspection en bout de piste » sur le parking E2 au lieu d’une zone proche du bout de piste. Cet écart par rapport aux procédures normales a été adopté par tous les escadrons grecs participants au cours des années précédentes et est devenu une pratique courante".
Par la suite, "ce changement dans l’ordre de l’« Inspection en bout de piste » a conduit le pilote à modifier ses habitudes procédurales et à appliquer la checklist « Avant décollage », qui a donc été suivie plus tôt que la normale dans la séquence de départ. Ce changement de procédure a modifié le schéma standard des habitudes du pilote".
"Avant le roulage, les réglages du compensateur en lacet et du compensateur en roulis ont été modifiés accidentellement. Le compensateur en roulis a été réglé légèrement vers la droite (non cohérent avec la configuration) et le compensateur en lacet a été réglé rapidement sur la position droite maximale (-12º) et il est resté dans cette position pendant le reste des opérations de l’avion".
Toujours selon les informations délivrées dans ce rapport, les réglages du compensateur "ont été vraisemblablement causés par un objet se déplaçant entre un dispositif de sécurité de la molette et la molette du compensateur en lacet (sur le Panneau de compensateurs manuels), tel qu’une checklist du TLP".
En effet, quelques paragraphes avant cette explication, les enquêteurs indiquent que "le TLP a remis trois checklists aux participants. Ces checklists constituaient du matériel de vol complémentaire destiné à être transporté dans l’appareil". Le pilote grec "a emporté son sac de vol dans le cockpit et l’a rangé dans le compartiment de stockage (boîte à cartes) du cockpit. Cela n’a probablement pas facilité le stockage et l’utilisation des trois checklists fournies par le TLP".
Dans la continuité des événements qui conduisent à l'accident, "après le roulage, le F-16 s’est arrêté et a attendu le décollage sur le point de manœuvre pendant 3:20 minutes. Ce moment était adéquat pour effectuer les procédures de la checklist « Avant décollage ». Cependant, aucune des procédures surveillées via le CSFDR n’a été réeffectuée et le [pilote] n’a pas remis la molette du compensateur en lacet en position neutre avant le décollage".
L'absence de checklist juste avant le décollage et la conception de l'avionique des F-16 "ne prévoit pas de méthode/système pour alerter le pilote si la compensation de l’appareil est incorrecte avant le décollage", contrairement aux Mirage 2000-5F, aux F-15, ou aux F/A-18 (Super) Hornet.
Lors du décollage, "immédiatement après la rotation, l’avion a subi un dérapage rapide résultant du réglage du compensateur de lacet en butée droite. Le dérapage à droite du nez a produit aérodynamiquement un moment de roulis vers le bas de l’aile droite". A ce moment là, le pilote de chasse grec a "réagi instinctivement en appliquant des actions maximales vers l’arrière et à gauche sur les commandes". Le rapport précise que "les commandes du manche du pilote et les actions consécutives sur les gouvernes ont été insuffisantes pour contrer le roulis à droite".
Enfin, le rapport préconise que "l’action la plus efficace pour contrer le dérapage était l’application de la gouverne de direction à gauche. Le relâchement de la pression sur la commande arrière et la diminution de l’incidence de l’appareil auraient facilité une reprise en main de l’avion. Cependant, le comportement du PF a été celui qu’on pouvait attendre de la part d’un pilote moyen, tenant compte des circonstances : – faible altitude, masse totale en charge élevée de l’avion et fort moment de roulis à droite, combinés à une fenêtre temporelle très limitée".
Cette suite d'actions, résumée pour l'article mais à consulter dans son intégralité pour comprendre correctement le déroulement de l'accident, a conduit à la mort de neuf aviateurs au sol, du pilote et du navigateur grec, et trente-trois militaires ont été blessés.
Par ailleurs, plusieurs avions de chasse ont été détruits ou partiellement endommagés. C'est le cas notamment du Mirage 2000D 651, de l'Alpha Jet E047, et de l'AMX 7193 de l'Aeronautica Militare qui ont été totalement détruits. Le Mirage 2000D 669 et l'Alpha Jet E096 ont été fortement endommagés, tandis que le Rafale B 335, l'AMX 7192, et le F-15E 202 de l'US Air Force ont été légèrement endommagés.
Cliquez sur le document PDF ci-dessus pour télécharger le rapport complet et officiel de l'enquête.