Le métier de pilote de chasse est, selon moi, l’un des plus passionnants tant au niveau de la difficulté technique de la maitrise de la « bête » que des dangers et sensations qu’on puisse vivre aux commandes d’un chasseur.
Chaque apprenti pilote militaire se voit déjà aux commandes d’un chasseur supersonique prêt à en découdre avec d’éventuels agresseurs grâce à l’arsenal mis à sa disposition. Mais avant cela pour le jour où éventuellement il tombera sur plus fort que lui, il doit faire connaissance avec celui qui pourrait devenir son meilleur ami.
Depuis que l’aéronautique est devenue militaire, c’est-à-dire combattante, les constructeurs d’avions de chasse n’ont eu de cesse de trouver des moyens de préserver la vie des pilotes dont l’avion était rendu inopérant suite à un combat ou un dysfonctionnement majeur.
Il y eut tout d’abord le parachute dont les premières ébauches furent dessinées par Léonard de Vinci bien avant que les frères Wright ne prennent leur envol. Mais il ne fut réellement développé qu’après le premier conflit mondial moderne qui vit les tout premiers combats aériens et dont les pilotes abattus n’avaient d’autre choix que de s’écraser dans leurs appareils en feu ou dans le meilleur des cas avaient une fin rapide suite à une rafale de mitrailleuse en combat rapproché. Je me rappelle de mes premiers vols en Fouga magister, un vieil avion d’entrainement des forces aériennes Françaises dont la méthode d’évacuation d’urgence était de larguer la verrière puis en fonction de la situation se mettre sur le dos puis ouvrir le harnais de rétention au siège et ainsi tomber pour après ouvrir le parachute. Ou bien, méthode plus exotique ou aléatoire selon le point de vue, larguer la verrière, « ramper » sur l’aile……..puis sauter, car dans le cas contraire, si on ne rampait pas, on se prenait la gouverne arrière qui avait la forme d’un énorme V. Et il en fut de même pour les pilotes jusqu’à l’invention du siège éjectable, bouée de sauvetage du pilote en perdition.
Le principe en est relativement simple. Il faut extraire le ou les occupants de l’avion en perdition avant que celui-ci ne percute le sol et si possible dans des conditions de sécurité maximales afin que le ou les parachutes puissent s’ouvrir. Dit de même c’est simple, mais attendez de lire ce qui suit.
Un de mes instructeurs en école de mécanique aéronautique avait coutume de dire que le siège éjectable est la seule chose qui doit parfaitement fonctionner quand plus rien ne va dans l’avion, et que le mécanicien responsable de son bon fonctionnement est la dernière personne dont se rappellera un pilote avant de rencontrer son créateur. Et c’est vrai.
Celui qui, dans la très grande majorité des cas, ne sert qu’au confort du pilote dans l’avion, est en fait un enchevêtrement de dizaines de mécanismes, dont plusieurs sont pyrotechniques, qui permettent la mise en œuvre de ce qu’il conviendrait aussi d’appeler une véritable catapulte aéroportée. Car c’est tout un coup de pied dans les fesses que se prend le pilote qui actionne la poignée d’éjection après avoir épuisé toutes les options qui s’offraient à lui pour sauver son aéronef. Cependant, avec l’évolution des technologies, la violence de l’éjection s’est considérablement adoucie. D’environ 20 « G » ou atmosphères instantanées, les accélérations subies sont devenues plus progressives tout en étant plus efficaces. Pour vulgariser à l’extrême, un siège éjectable est ni plu ni moins qu’un fauteuil posé sur un canon qui va se trouver propulsé dans les airs lors de la mise à feu de ce dernier. Tout un coup de pied aux fesses je vous disais.
Mais voyons un peu plus en détails ce qui le constitue. Avant de penser à quitter un avion en perdition, il faut prendre en considération que l’habitacle est une cellule pressurisée qui permet au pilote d’effectuer sa mission dans des conditions physiologiques supportables par son organisme. Quitter cet environnement climatisé et pressurisé va donc constituer sinon un choc, mais aussi une désorientation qui risque de l’incapaciter quelques secondes après l’éjection.
Il faut donc que dans la mesure du possible, toute la séquence d’éjection soit entièrement automatisée dès la traction sur la poignée. Celle-ci va initier toute une série d’actions extrêmement rapides et violentes dont la première va être l’ouverture de la cabine. Initialement, il s’agissait d’enclencher le déverrouillage de la verrière qui s’élevait légèrement puis était arrachée par le vent relatif pour permettre le passage du siège. Mais avec le temps, les constructeurs lui ont préféré un dispositif de fragmentation plus rapide et moins traumatisante pour le pilote qu’une ouverture immédiate. Celle-ci en fonction du type d’avion peut se réaliser de deux façons.
Par construction, les verrières se voient dotées d’un tube souple aplati qui est moulé dans le plexiglas. Aux deux extrémités de ce tube se trouve un dispositif pyrotechnique qui dès les premiers centimètres d’élévation du siège va allumer deux cartouches de poudre qui à une vitesse fulgurante vont produire du gaz qui va remplir le tube moulé dans la verrière, faire fragmenter le plexiglas autour de celui-ci et découper une forme propre pour permettre la sortie de la tête de l’occupant. Une fois la tête sortie, une autre chaine pyrotechnique disposée sur le pourtour de la verrière va percuter pour fragmenter en plusieurs petits morceaux le reste du plexiglas qui va alors s’envoler sous l’effet du vent relatif à travers la cabine ainsi ouverte et sur le corps du pilote dont la tête et le cou auront déjà été extraits par le processus de fragilisation précédent.
Tout ceci se fait sous l’impulsion initiale de l’élément de base qu’est le canon d’éjection. Il s’agit en fait d’un ensemble de tubes télescopiques imbriqués les uns dans les autres qui comporte plusieurs cartouches pyrotechniques qui, mises à feu les unes après les autres à mesure que le canon se déploie, permettent une élévation progressive du siège, limitant ainsi l’accélération de départ. Lors de l’ascension du siège, et dès les premiers centimètres, plusieurs autres mécanismes vont se mettre en œuvre. Le plus simple d’entre eux est le système de rappel de jambes. Les premières versions de sièges éjectables ne comportaient pas un tel dispositif et lors d’éjections à grande vitesse, on constatait des fractures importantes aux jambes et au bassin des pilotes éjectés. Ceci était dû à la force du vent de face qui, lors de la sortie de l’habitacle, s’engouffrait violemment entre les cuisses de l’occupant du siège, lui propulsant du même coup les jambes de part et d’autre en fracturant ses fémurs.
Suite à ces constatations, un dispositif de rétention fort simple fut inventé. Un rappel de jambe par sangles qui fonctionne de la façon suivante. Lors de son installation à bord, le pilote va passer dans des boucles fixées autour de ses chevilles une sangle dont l’une des extrémités est fixée au plancher de l’avion par un rivet. Celui-ci va se rompre avec la traction de l’éjection, et l’autre extrémité vient se verrouiller dans la partie avant du siège. Lors de l’ascension du siège, la sangle va se tendre progressivement tout en ramenant en position arrière les pieds du pilote qui seront alors fermement maintenus contre le siège. Un dispositif similaire a aussi été étudié pour ramener en position croisée les bras sur le torse. Simultanément, un système pyrotechnique de rappel de torse va se mettre en œuvre. Celui-ci a pour but d’assurer une position correcte de la colonne vertébrale du pilote qui, en fonction des accélérations subies ou la position de l’aéronef lors de l’éjection, peut se retrouver en position penchée ou sur côté ce qui pourrait occasionner des lésions à la moelle épinière lors d’une éjection brutale. Le rappel de harnais va donc violemment se déclencher sous l’action de gaz pour enrouler les sangles de rétention du harnais qui lui permettent en temps normal d’évoluer vers l’avant dans sa cabine. Il va donc se retrouver verrouillé en position arrière dans une position idéale pour l’éjection.
C’est à ce moment précis qu’entre en fonction le moteur-fusée du siège éjectable. C’est un ensemble de cartouches fixées côte à côte sous le siège qui lorsqu’elles sont mise à feu, vont produire des gaz qui vont être éjectés par deux tuyères. Ceci produit ainsi une accélération de 5000lbs en 0.25 seconde qui propulse le siège et son occupant à plus de 75 mètres de l’endroit d’où a été initiée l’éjection. La nécessité d’un tel dispositif est apparue rapidement lorsque des pilotes ont été obligés de s’éjecter au sol. Les anciennes générations de sièges qui ne disposaient pas de moteur-fusée permettaient bien évidemment au pilote de quitter en urgence l’avion au sol en cas d’incidents au décollage ou à l’atterrissage, mais pas lors d’incidents à l’arrêt, prêt à décoller moteur à plein régime, nécessitant une évacuation immédiate hors de toute descente classique par l’échelle. Parce que ces sièges avaient besoin d’une vitesse minimale de 90 nœuds pour permettre au parachute de s’ouvrir complètement et réduire minimalement le choc du pilote qui retombait très rapidement au sol. Ces sièges étaient appelés 0-90. Le moteur-fusée a permis de les rendre 0-0 en prodiguant un 75m d’altitude salutaire au déploiement du parachute assurant ainsi un retour au sol plus souple bien que loin d’être tout de même des plus doux.
Mais revenons à notre pilote qui a quitté sa cabine attaché sur son siège et qui vient de se prendre le vent relatif de plein front. Généralement, on assiste dans les tout premiers moments à un effet de « tumbling » où le siège se met en rotation sur lui-même très rapidement. Ceci pouvant être très préjudiciable à l’occupant du siège qui subit alors de violentes accélérations sous forme de « G » positifs, un autre dispositif pyrotechnique entre en fonction. C’est le pistolet extracteur qui est constitué d’un fut accueillant une masse en métal reliée à l’ensemble des parachutes. Elle va être propulsée afin d’extraire dans un premier temps un petit parachute nommé « extracteur » qui lors de son ouverture va permettre au parachute du siège appelé stabilisateur de sortir puis de s’ouvrir. Ceci va avoir pour effet immédiat de stopper la rotation du siège et d’assurer une descente stable jusqu’à ce que des conditions viables pour une séparation siège-pilote soient remplies.
Car en fonction de l’altitude où se déroule l’abandon de l’avion, il est possible que l’atmosphère ne contienne pas assez d’oxygène pour assurer la survie du pilote. La descente va donc s’effectuer sous le parachute stabilisateur en alimentation oxygène secours grâce à une bouteille sous pression accrochée sur le siège.
C’est le rôle du mécanisme de déverrouillage retardé d’assurer que le pilote ne quitte pas le siège avant d’être capable de respirer par lui-même. Ce système double va faire office de contrôleur d’accélération et d’altitude.
Il s’assure que la séparation ne puisse pas avoir lieu tant que le siège n’aura pas suffisamment décéléré pour assurer une ouverture du parachute pilote sans que celui-ci n’explose sous la pression de l’air dans une descente trop rapide. Il va aussi grâce à une capsule altimétrique permettre un déverrouillage automatique du harnais du pilote à une altitude qui contiendra assez d’air pour qu’il respire correctement. Lorsque les deux conditions d’altitude et de vitesse de descente sont réunies, une nouvelle charge pyrotechnique percute, envoyant des gaz sous pression dans un ensemble de tuyaux qui vont déverrouiller les points d’ancrage du harnais du pilote. Ainsi, cela va libérer les sangles de rappel de jambe larguer les parachutes siège et permettre au compartiment du parachute personnel de s’ouvrir afin que le siège tombe d’un coté et le pilote de l’autre. À ce moment-là, le siège se trouve en chute libre et le pilote est accroché sous son parachute avec son paquetage de survie qui se trouvait dans un contenant sous ses fesses et qui se trouve maintenant attaché à sa ceinture.
Tout ceci, dans des conditions d’altitude et d’accélération optimales s’est passé avant que vous ayez eu le temps de compter 5. Une éjection en mode basse altitude se déroule en fonction du modèle de siège en 3.65 secondes. La séquence particulière que je vous ai décrite ici concerne le siège Mark 10 de la compagnie britannique Martin Baker dont la version export équipe bon nombre de chasseurs modernes et se voit désormais suplanté par le MK-16.
Il existe de par le monde d’autres constructeurs de sièges éjectables, mais le principe de base reste le même. Certaines évolutions récentes améliorent encore la sécurité de l’occupant en ajoutant par exemple des centrales anémométriques ou gyroscopiques et même des ailerons rétractables pour assurer une stabilité accrue de l’ensemble siège pilote dans l’air lors d’éjections sur le dos par exemple.
Le siège éjectable constitue une étape majeure dans l’histoire de l’aviation militaire moderne, il a déjà sauvé des milliers de vies et continuera à en sauver. Car même si un jour l’avion ne sert plus à des fins militaires, il continuera toujours à être une pièce d’ingénierie qui peut malheureusement subir des défaillances et qu’il faut abandonner au plus vite avant de se transformer avec lui en un trou fumant dans le sol.
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Article écrit par David Lobjoie. Rentré à l'école d'enseignement technique de l'armée de l'air de Saintes, il a choisi le métier de "spécialiste équipement de sécurité sauvetage sur Mirage 2000". Il a depuis quitté l'institution et travaille comme consultant en aérospatiale et développe des stratégies de communication dans une agence. C'est également un collaborateur fidèle sur notre page Facebook "The Flying Men", où il publie, lorsqu'il trouve le temps, des infographies à teneur spatial. Vous pouvez le retrouver sur son compte Twitter @dlobjoie.